Elles se tenaient à quelques pas d'elle. Grandes, bien plus grandes qu'elle n'aurait pu l'imaginer, dépassant toutes ses prédictions. Et maintenant qu'elles étaient à portée, elles n'en paraissaient que plus impressionnantes, presque bouleversantes.
Presque.
Car il ne s'agissait que de portes, comme Judicaël aimait se le répéter depuis presque 10 minutes. Il lui aurait suffit de tendre la main. Et elle aurait pu les toucher. Un simple geste, si banal, si ordinaire... Et pourtant, elle n'arrivait pas à s'y résoudre. Leur blancheur immaculée, presque spectrale se reflétait dans ses yeux avec une lueur renouvelée. Comment un simple geste pouvait avoir tant de mal à se faire ?
Comment une porte pouvait paraître si irréelle ?
Peut être était ce du à la légère brume qui annihilait les frontières si facilement établies entre le matériel et l'onirique. Ce n'était d'ailleurs pas une brume épaisse, c'était plus une sorte de vapeur, de nébulosité, qui se coulait en nappes aériennes et impalpables autour d'elle. Le tableau des lueurs crépusculaires mordorées mordant ces nuages de leurs couleurs chatoyantes aurait pu paraître séraphique si il n'était pas empreint d'une impression de chagrin, de mélancolie profonde.
Il n'y avait personne, et cela renforçait son impression d'amertume. Sa robe de coton blanc se perlait d'infimes gouttes d'eau, accrochant au tissu une myriade de petits miroirs où la lumière mourante brillait une dernière fois. La dentelle en crinoline au bout de ses manches s'humidifiait dangereusement, laissant transparaître la blancheur de sa peau sous la broderie. Pourquoi n'entrait elle pas maintenant ? Bientôt, peut être, les portes se fermeraient, la laissant dehors durant la nuit, seule. Mais elle n'arrivait pas à s'y résoudre. De toutes façons, elle était trop loin pour faire demi tour... La pensée germa dans son esprit, et elle reconnu qu'il était plus tentant de revenir sur ses pas, et de s'aventurer en terrain connu.
- Pour aller où, de toutes façons ? se murmura t'elle dans un souffle.
La journée avait été étouffante, d'une chaleur poisseuse, et Judicaël n'avait qu'une hâte : trouver un endroit pour la nuit. Tara, Capitale de Meath lui paraissait un endroit idéal. C'était un ville tentaculaire, toujours pleine de vie, de bruits, d'odeurs, et d'animation. Le contact avec d'autres personnes ne pourrait lui être que bénéfique, elle qui commençait à trouver inquiétant son accoutumance à la solitude. Elle n'était pas souvent seule. Et l'absence de sons la mettait mal à l'aise : il lui semblait se trouver dans un endroit cotonneux, qui étouffait le moindre bruissement, le moindre chant, le moindre éclat. Rien. Il n'y avait rien ni personne devant ces portes.
Soudain, la vacuité de tout cela sauta aux yeux de Judicaël. Non mais vraiment, avait elle l'habitude de se laisser entraîner dans ses pensées à ce point ? Consternée par sa propre attitude des dernières minutes, Judicaël se mit en mouvement. Elle releva ses cheveux ondulés par la rosée crépusculaire, et les fixa d'un geste vif en un chignon lâche d'où s'échappait des mèches indomptables. Ses cheveux semblaient être vermeils et ambrés sous les rayons fauves du soleil couchant. Elle redressa d'une main sa robe et les jupons sous sa jupe et avança vers les portes. Même sa robe, pourtant d'un blanc éclatant semblait grise et terne comparée à la pureté et l'impression opalescente qui semblait émaner des portes.
Avant de poser la main sur la porte froide, Judicaël se retourna une dernière fois et jeta un regard au ciel devenu grenat.
- Taedium vitae, susurra t'elle.
Ses mots se perdirent dans la rêverie ambiante en un souffle.